Végétarisme et risque d’AVC : quand les médias s’emballent
Attention aux raccourcis et interprétations journalistiques ! Une publication scientifique sur les liens entre régime alimentaire et risques d’AVC paru dans le British Medical Journal en septembre 2019 a largement fait parler d’elle, suscitant nombre de titres de presse racoleurs. Décryptage par le Dr Loïc Blanchet Mazuel, spécialiste en médecine générale et membre de la commission-nutrition-santé de l’AVF.
- L’étude en question a pour titre « Risques de cardiopathie ischémique et d’accident vasculaire cérébral chez les mangeurs de viande, les mangeurs de poisson et les végétariens après 18 ans de suivi : résultats de la future étude EPIC-Oxford »1. De nombreux médias l’ont relayée, comme Les Échos2 (« Le régime végétarien plus propice aux accidents vasculaires cérébraux (AVC), hypothèse surprise d’une étude britannique »), Sciences et Avenir3 (« Le risque d’AVC serait plus élevé chez les végétariens et les végans »), ou encore Paris Match4 (« Le lien inquiétant entre régime vegan et risques d’AVC », alors que l’étude ne porte pas sur la population végane mais végétarienne. On peut se demander si les journalistes ont vraiment lu et compris l’article original…
Précisons d’abord que les études en nutrition sont toujours à interpréter avec précaution, dans un sens comme dans l’autre. En effet, ce sont souvent des études dites observationnelles, qui consistent à suivre un certain nombre d’individus pendant une certaine durée (plusieurs années ou dizaines d’années), et à noter les événements de santé survenus (les AVC par exemple). Cela permet d’étudier des associations entre différents facteurs, mais rarement de conclure à des liens de cause à effet. Il faut donc toujours rester très prudent vis-à-vis des résultats annoncés (qu’ils soient miraculeux ou non).
Venons-en à l’étude en question. Les auteurs ont choisi d’y intégrer 4 types de population : les mangeurs de viande (meat eaters), et parmi les non-mangeurs de viande : les mangeurs de poisson (fish eaters), les végétariens (vegetarians) et les végétaliens (vegans). Sur les 48 188 participants recrutés initialement (entre 1993 et 2001), 1832 personnes se déclaraient végétaliennes, et 14 378 végétariennes. Lorsque les enquêteurs ont interrogé les participants, entre 2010 et 2013, sur les 28 364 réponses reçues, il n’y avait plus que 792 végétaliens et 6521 végétariens. Le nombre de végétaliens est donc très faible comparé au reste de la population étudiée. Nous pouvons déjà imaginer à ce stade qu’il sera difficile d’obtenir des données statistiquement significatives pour les végétaliens.
L’augmentation de 20 % de risque d’AVC chez les végétariens (incluant les végétaliens), mise en avant par tous les articles de presse, est à relativiser. Pour ce qui est des végétaliens, l’étude ne met en évidence aucune association qui soit statistiquement significative entre leur régime et un risque accru d’AVC. Après ajustement sur différents facteurs de confusion5, il ressort une augmentation du risque d’AVC de 18,8 % dans la population végétarienne étudiée comparée aux mangeurs de viande, ainsi qu’une diminution du risque de cardiopathie ischémique de 21,6 %. Il faut se méfier du pourcentage annoncé, car il peut être parfois trompeur selon la fréquence de la maladie. Par exemple, un traitement miracle qui diminuerait de 50 % le risque d’une maladie quelconque qui, sans traitement, toucherait 2 personnes sur 1000, paraîtrait tout de suite beaucoup moins intéressant car il faudrait alors traiter 1000 personnes pour en préserver une seule. Appliqué à notre étude, le sur-risque d’AVC pour les végétariens est de 3 pour 1000, tandis que cette même alimentation permet à 10 personnes sur 1000 d’éviter des problèmes cardiaques (cardiopathie ischémique). Pour les végétaliens seuls, là non plus on ne peut pas conclure, l’effectif étant probablement trop faible.
Omnivore | Végétarien | Végétalien | ||
Risque en % | Risque en valeur absolue | |||
Cardiopathie ischémique | Référence | – 21,6 % | – 10 / 1000 personnes | Non significatif |
AVC | Référence | + 18,8 % | + 3 / 1000 personnes | Non significatif |
Plusieurs éléments intéressants à noter dans cette étude, concernant l’alimentation des végéta*iens :
- Les végéta*iens consomment relativement peu de fibres (22,1 g/j), contre 18,8 g/j pour les mangeurs de viande, ce qui est en deçà des recommandations. Pour les végétaliens la consommation de fibres est plus importante (25,9 g/j).
- 56,1 % des végéta*iens disent utiliser des compléments alimentaires – sans précision sur le type de complément – contre seulement 52 % des végétaliens. Quid de la vitamine B12 pourtant indispensable aux végétaliens ? Est-elle consommée à travers des aliments enrichis, ou bien complètement absente, ce qui pourrait expliquer des apports plus bas en vitamine B12 dans ces populations6 ? D’ailleurs, les mangeurs de viande aussi déclarent prendre des compléments alimentaires, pour 57 % d’entre eux. Là non plus, aucune information sur le type de complément alimentaire consommé.
- Aucune mention n’est faite de la consommation d’œufs. Une augmentation de la fréquence des AVC parmi les grands consommateurs d’œufs a été mise en évidence dans une autre étude7. Or, les végétariens consomment généralement davantage d’œufs que les mangeurs de viande8.
- Les végétariens de l’étude consomment davantage de fromage (+29 %) que les mangeurs de viande – fromage qui est souvent riche en sel et en acides gras saturés, qui ne sont pas non plus exempts de liens avec la survenue d’AVC9. Ces différences dans l’alimentation des végéta*iens de l’étude par rapport aux recommandations appliquées à une alimentation végéta*ienne équilibrée ne permettent pas de tirer des conclusions quant au lien entre végétarisme (bien mené) et risque d’AVC. Pour cela il faudrait d’autres recherches, étudiant des populations végéta*iennes ayant des apports plus proches des recommandations (comme c’est le cas dans la cohorte Nutrinet où les végétariens sont ceux qui se rapprochent le plus des recommandations nutritionnelles officielles8). À noter également, entre les périodes d’inclusion et d’évaluation intermédiaire de l’étude, plus d’un quart des végétariens déclarent avoir changé d’alimentation (27 %), contre une proportion beaucoup plus restreinte de mangeurs de viande (4 %), ce qui peut également impacter les résultats. Les auteurs indiquent d’ailleurs que la contribution relative de l’alimentation individuelle n’a pas été évaluée. Seul le risque associé à un groupe partageant un type d’alimentation prédéfini a été observé. Ils précisent également que les informations sur les traitements médicamenteux n’étaient pas disponibles (on sait juste si les participants prenaient ou non un traitement), ce qui peut influencer les résultats. Enfin, en regardant la littérature internationale sur le sujet, si la réduction de risque de cardiopathie ischémique a déjà été observée chez les végétariens, le sur-risque d’AVC n’a jamais été observé. Ils concluent que ces résultats ne peuvent être transposés à la population dans son ensemble et que d’autres études sont nécessaires, notamment pour évaluer quel facteur pourrait être responsable du taux d’AVC plus élevé (cholestérol, vitamine B12, etc.).
- Enfin, d’autres études sur cette même cohorte de végéta*iens avaient mis en évidence des taux d’apport en nutriments plus faibles, notamment en vitamine B126, vitamine D10, oméga-311 par rapport à la population générale.
En conclusion, il s’agit d’une étude intéressante dont les conclusions sont à prendre avec précaution ! Il n’y a pas lieu de remettre en cause votre alimentation, mais plutôt de veiller à son équilibre, afin de se rapprocher au mieux des recommandations nutritionnelles actuelles. Pour cela, l’AVF met à votre disposition des fiches pratiques sur les principaux nutriments et vous indique comment bien mener votre alimentation.
Notes
- Tong TYN, Appleby PN et alii, « Risks of ischaemic heart disease and stroke in meat eaters, fish eaters, and vegetarians over 18 years of follow-up: results from the prospective EPIC-Oxford study », British Medical Journal, 4 septembre 2019, 366:l4897.
- http://bit.ly/EchosAVC
- http://bit.ly/SciencesAvenirAVC
- http://bit.ly/PMatchAVC
- Caractéristiques socio-démographiques (âge, sexe, niveau d’éducation) et mode de vie (tabac, alcool, activité physique).
- Gilsing AMJ, Crowe FL, Lloyd-Wright Z et alii, « Serum concentrations of vitamin B12 and folate in British male omnivores, vegetarians and vegans : results from a cross-sectional analysis of the EPIC-Oxford cohort study ». European Journal of Clinical Nutrition, sept. 2010 ; 64(9):933‑9.
- Haring B, Misialek JR et alii, « Association of dietary protein consumption with incident silent cerebral infarcts and stroke : the ARIC study ». Stroke, octobre 2015.
- Allès B, Baudry J, Méjean C et alii, « Comparison of Sociodemographic and Nutritional Characteristics between Self-Reported Vegetarians, Vegans, and Meat-Eaters from the NutriNet-Santé Study ». Nutrients, 15 sept 2017 ; 9(12):1023.
- Micha R, Peñalvo JL, Cudhea F, Imamura F, Rehm CD, Mozaffarian D. « Association between dietary factors and mortality from heart disease, stroke, and type 2 diabetes in the United States ». JAMA. Mars 2017 ; 317(9):912-924.
- Crowe FL, Steur M et alii, « Plasma concentrations of 25-hydroxyvitamin D in meat eaters, fish eaters, vegetarians and vegans: results from the EPIC–Oxford study », Public Health Nutrition. Février 2011; 14(2):340‑6.
- Rosell MS, Lloyd-Wright Z, Appleby PN et alii, « Long-chain n-3 polyunsaturated fatty acids in plasma in British meat-eating, vegetarian, and vegan men ». American Journal of Clinical Nutrition, août 2005; 82(2):327‑34.