Les lobbys, une force au service de l’exploitation animale
Les lobbys sont des structures qui agissent pour représenter des intérêts, le plus souvent économiques, auprès des décideurs politiques, et notamment des législateurs (que ce soit auprès des parlements nationaux, ou bien du Parlement européen). En France, ils sont recensés par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Parmi les organisations répertoriées, on peut trouver des organisations professionnelles et des syndicats, mais aussi des associations telles que Greenpeace France, L214 ou Convergence Animaux Politique (CAP). Les lobbys peuvent donc agir pour, ou contre la condition animale et l’écologie. Avec quels moyens, et dans quel rapport de force ?
Quels sont les lobbys au service de l’exploitation animale en France ?
En 2018, le domaine le plus représenté dans le répertoire de la HATPV était l’agriculture, déclaré par 8 % des organisations. On peut donc considérer ce secteur comme particulièrement chargé d’enjeux économiques et stratégiques. En France, le principal lobby de la viande est Interbev, la puissante interprofessionnelle du bétail et des viandes, qui défend les intérêts des secteurs bovins, ovins et équins, gérant chaque année un budget de plus de 30 millions d’euros. « Interprofession multi-espèces », elle structure des organisations allant de la « production » (par exemple des syndicats agricoles, comme la Coordination rurale ou la Confédération paysanne) à la distribution de la viande. 90 % de son budget est consacré à la communication, qui est menée à travers des slogans (« Bravo le veau »), des sites spécialisés1, ou bien des campagnes contextuelles (par exemple, en 2019, le déploiement de tout un espace en faveur du « flexitarisme » au Salon de l’Agriculture, qui visait en réalité à défendre un modèle alimentaire dans lequel les viandes conservaient une place centrale).
On peut aussi citer la FNSEA, syndicat agricole majoritaire en France, qui défend un modèle d’agriculture industrielle, en soutenant l’utilisation de produits phytosanitaires (dont la production est un secteur économique particulièrement rentable2) et en s’opposant à toute évolution allant dans le sens d’une réduction de la souffrance animale : faire évoluer les pratiques en augmentant l’espace dévolu aux animaux, ou bien généraliser l’anesthésie pour les opérations courantes telles que la castration des porcelets – cela a un coût, et réduit donc les marges des agriculteurs. Dans le contexte actuel de la montée d’un souci pour la condition animale, la FNSEA s’est même mobilisée en contribuant à la criminalisation du mouvement animaliste, qui s’est manifestée par la création de la cellule Déméter.
D’autres structures agissent de manière moins visible. Le CERIN, par exemple (Centre de recherche et d’information nutritionnelles), émanation du CNIEL (le Centre national interprofessionnel de l’industrie laitière), s’évertue à faire apparaître le lait comme un aliment indispensable, notamment dans des documents adressés aux professionnels de santé ou aux institutions scolaires3. Autre structure, l’OCHA (Observatoire des habitudes alimentaires de l’interprofession laitière) est un centre de ressources et de recherches partagées avec la communauté scientifique autour de l’approche par les sciences humaines et sociales de l’alimentation, des systèmes alimentaires et des relations entre humains et animaux. Plus opaque, puisqu’il n’a aucune existence officielle, le Comité Noé défend les intérêts de tous les acteurs concernés par « l’utilisation des animaux » : chasseurs, professionnels des zoos ou de la tauromachie. Son dirigeant, Thierry Coste, fait partie de l’entourage politique du président Emmanuel Macron.
Des freins sérieux à la végétalisation de l’alimentation
Dans la communauté végétarienne, on s’interroge souvent sur les freins qui empêchent un nouveau modèle alimentaire de progresser. Puisque manger plus végétal apporte des bienfaits à la fois pour la santé, pour l’écologie et pour la condition animale, pourquoi donc les politiques ne vont-elles pas dans ce sens ? À ce sujet, Greenpeace France a mené un travail édifiant en démontrant l’influence des lobbys de la viande et du lait au sein du Programme national nutrition santé (PNNS), dans lequel on trouve des organismes tels que l’Association nationale des industries alimentaires (l’ANIA, qui représente les groupes Avril et Lactalis), le Syndicat national des fabricants de sucre de France ou la Fédération française des industriels charcutiers. De la même manière, les recommandations sur la composition des menus dans les cantines ont été en grande partie façonnées par un groupe de travail du GEM-RCN, au sein duquel les représentants des filières animales – particulièrement assidus – étaient en 2014 trois fois plus nombreux que ceux des filières végétales4, et d’où les scientifiques étaient pratiquement absents. La conséquence est flagrante : si on suit ces recommandations, les enfants reçoivent au moins deux fois plus de protéines que les apports nutritionnels conseillés (ANC), et parfois jusqu’à six fois plus, ce qui n’est pas sans conséquences sur leur santé.
Notes
- bit.ly/LibeLobbyViande
- www.bastamag.net/Pourquoi-la-FNSEA-est-elle-accro-au-glyphosate
- Une étude britannique publiée dans la revue Public Health Nutrition en 2017 a relevé en six mois, de mars à octobre 2015, 170 actions de lobbying de la part de trois acteurs majeurs de la filière laitière en France, Danone, Lactalis et le CNIEL, auprès du gouvernement et du grand public. Voir Mialon M. et Mialon J. « Corporate political activity of the dairy industry in France: An analysis of publicly available information », Public Health Nutrition, 2017, doi:10.1017/S1368980017001197
- bit.ly/GreenpeaceRappCantines, et bit.ly/GreenpeaceRappCantinesSupp