Camille Oger, l’ethno-gastronome

Un article paru dans ViraGe n°11 – automne 2021

Globe-trotteuse, autrice et journaliste freelance, Camille explore le monde et ses saveurs. Son blog Le Manger est une référence sur les traditions culinaires de sa région niçoise natale à l’Extrême-Orient. Rencontre.

Interview

Vous avez beaucoup “bourlingué”, en Asie et en Europe. Votre parcours professionnel s’est-il construit au fil de vos voyages ?
Quand on me pose cette question, j’ai tendance à répondre que je suis SDF, mais c’est beaucoup moins vrai depuis le Covid et les confinements. Je passe normalement 3 mois par an au Japon et 3 à 6 mois à voyager ailleurs. Depuis 2020, j’ai dû me poser ! Je suis basée à Nice et à Paris.
Mon parcours professionnel s’est affiné avec les voyages. J’étais journaliste aux Échos avant de partir vivre en Asie, notamment aux Philippines, à Taïwan et au Japon. J’ai vu ce qui retenait mon attention en voyage – la nourriture, mais aussi et surtout tout son contexte, car finalement la nourriture dit toujours quelque chose sur l’homme – déformation d’anthropologue sans doute, ma spécialité à la fac. J’ai peu à peu compris qu’il fallait que je combine les approches de la reporter, de l’anthropologue et de la cuisinière pour écrire des articles que j’aurais personnellement envie de lire : un travail de terrain avec un grand nombre de photos, beaucoup de recherches rigoureuses, une écriture accessible, et surtout des histoires que je n’avais jamais lues nulle part. Je les ai d’abord publiés sur mon blog, où j’avais une liberté totale de ton, format et ligne éditoriale, puis dans la presse et dans des livres.

D’où vous vient ce goût pour les cultures culinaires ?
J’ai pris quelques claques culinaires en voyageant. Je suis partie vivre au Groenland quand j’étais étudiante, dans un village de 300 habitants. Là-bas, on est chasseur-pêcheur et rien ne pousse. Donc on se nourrit de phoque, presque exclusivement. J’ai détesté le phoque et son odeur me hante encore, mais cela m’a fait prendre conscience du fait que le décalage entre les cultures est souvent particulièrement criant au niveau alimentaire, car l’alimentation est la synthèse de beaucoup de choses : le climat, la topographie, les techniques et savoir-faire, les croyances et tabous… Tout ça et d’autres choses, au fil du temps, forme le goût. La culture culinaire est à mon avis ce qui résiste le mieux à la mondialisation, et c’est un magnifique sujet d’étude.

Qu’aimez-vous cuisiner au quotidien ?
Je ne suis pas une grande cuisinière, et je cuisine franchement peu, surtout quand je voyage toute l’année. Et quand je viens de finir d’écrire, réaliser et photographier 150 recettes pour un livre, je mets généralement des mois avant de retoucher une casserole ! Mais je suis une grande fan des légumes, en bonne Niçoise. Je fais beaucoup de salades saisonnières variées, des fermentations (j’ai écrit deux livres sur le sujet : L’Art de la Fermentation et Les Secrets de la Lacto-fermentation) et j’ai gardé l’habitude de boire beaucoup de soupe miso… Bref, que des choses qui demandent peu d’efforts ! Quand je suis posée en France et que j’ai plus de temps et d’envie, je cuisine des plats mijotés qu’on laisse cuire tout seuls dans la cocotte, des tartes aux légumes comme celles de ma mère ou ce qui me manque du Japon, de Corée, de Chine ou des Philippines : soupes de nouilles, fritures, plats à base de riz… et des super gyoza.

Une anecdote surprenante à raconter, à propos d’une tradition culinaire, d’un reportage ou d’une rencontre ?
J’ai vu tellement de choses étonnantes et fait tant de belles rencontres ! Mais l’une de mes grandes surprises a été la Colombie. J’avais lu avant d’y aller que la cuisine y était peu intéressante, mais c’est une erreur. Elle est fabuleusement variée et réconfortante. Les soupes colombiennes en particulier sont magiques.
En matière de tofu, la Chine m’a fascinée. Les tofus fermentés que l’on trouve dans certaines provinces ressemblent à nos fromages les plus faits : ils prennent des couleurs, du bleu au noir en passant par le brun, et se couvrent de moisissures qui ont parfois l’air de cheveux… La texture et le goût changent complètement. C’est fort, riche, et chaque variété appartient à un terroir particulier.

Des projets de livres ou de documentaires en préparation ?
Je travaille en ce moment avec la chef Manon Fleury sur son prochain livre dédié aux céréales. Il sortira au printemps chez Flammarion. J’ai d’autres projets qui ont dû rester en suspens à cause du Covid car ils demandent de partir sur le terrain en Asie… J’ai hâte de pouvoir m’y mettre, car ce sont des sujets vraiment géniaux. Affaire à suivre !

 

Portrait chinois

Si vous étiez…
Une saveur
Celle du bon pain bien chaud, qui me manque tant en Asie.
Un parfum
La fleur d’oranger, qui remplit mon jardin dans le Sud au printemps.
Une matière ou texture
La souplesse et l’élasticité incomparables de nouilles de patate douce, très courantes en Chine et en Corée. Ça glisse, c’est très amusant à manger.
Une couleur
Le bleu ! Si rare en cuisine alors qu’il nous entoure, du ciel à la mer.
Un ingrédient primordial
La levure de bière, une passion depuis mon enfance. Une salade sans levure de bière n’est pas tout à fait une salade…
Photo de Camille Oger : Quentin Gaudillière

Pour aller plus loin :


Parmi ses livres de cuisine, nous avons dévoré :

  • Tofu, l’anthologie (2019)
  • Terres de Tofu (2020)

deux incontournables aux éditions La Plage.

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