Dans l’arsenal du GIEC contre le réchauffement climatique, la végétalisation de notre alimentation
Un article de Camille Roudaire, de la Commission écologie de l’AVF.
Le GIEC a dressé des constats alarmants concernant le changement climatique dans les deux premiers volets de son sixième rapport, publiés en août et en février derniers. Le troisième volet, publié en avril, présente un éventail de scénarios et de solutions pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Parmi les secteurs susceptibles de proposer des alternatives à la dramatique trajectoire actuelle, l’agriculture n’est pas le moindre de nos leviers d’actions.
Pour les experts du GIEC, les capacités de séquestration du carbone offertes par l’agriculture, la foresterie et les nouveaux modes d’utilisation des sols permettraient de contenir entre 8 et 14 gigatonnes, ou milliards de tonnes, de CO2 équivalent par an entre 2020 et 2050. Ce chiffre, à rapprocher des 53,5 gigatonnes émis en 2021 à l’échelle de toute la planète, s’entend sur la base d’un coût de la tonne de CO2 inférieur à 100 dollars.
La reforestation, proposée comme l’une des meilleures solutions pour ce secteur, resterait une technique à manier avec prudence en raison des risques qu’elle présente pour conservation de la biodiversité et des écosystèmes, de droits d’utilisation des terres des peuples autochtones, ou encore de sécurité alimentaire. En effet, la reforestation est présentée par les experts comme une solution faisant concurrence à l’usage de terres destinées à l’alimentation humaine.
Ainsi, le rapport du GIEC développe deux autres pistes pour atténuer les émissions de ce secteur : diminuer la part du gaspillage alimentaire et agricole, et se tourner vers une alimentation de plus en plus végétale.
La part de l’élevage et de l’alimentation
En effet, si le secteur agricole est le deuxième émetteur de gaz à effet de serre, c’est l’élevage intensif qui en est particulièrement la cause. Il entraîne une expansion des terres agricoles dans les forêts, et donc une perte massive de biodiversité ainsi qu’une libération dans l’atmosphère de quantités énormes de CO2. L’élevage intensif est également le champion des émissions de protoxyde d’azote (NO2) et de méthane (CH4). Il gaspille nos ressources en eau et en terres arables, pollue nos sols et nos océans.
Si les experts du GIEC affirment que les produits animaux « jouent un rôle important dans la sécurité alimentaire » et en particulier que « les ruminants de pâturage sont des convertisseurs efficaces de végétaux en énergie assimilable par l’homme et en protéines », ils reconnaissent que l’élevage extensif n’est pas une réponse satisfaisante. En effet, il ne permet pas de se rapprocher suffisamment de l’objectif global de réduction des émissions carbonées, et induit une concurrence entre les ressources naturelles mobilisées pour nourrir les humains, et celles nécessaires à l’alimentation du bétail.
Ainsi, les experts du GIEC certifient que l’adoption d’une alimentation végétarienne pourrait contenir jusqu’à 8 gigatonnes de CO2 équivalents par an d’ici 2050. Par ailleurs, ils mettent en avant différentes études présentant les bénéfices d’une alimentation plus saine et moins carnée : un amoindrissement des besoins en terres agricoles (3,1 milliards d’hectares de terres agricoles libérés avec alimentation végétalienne), la préservation de la biodiversité et des écosystèmes avec une réduction de moitié de l’eutrophisation et de l’acidification des milieux, la prévention des maladies liées à l’alimentation dans les pays développés, la diminution du risque de maladies cardio-vasculaires et de diabètes de type II.
Cette transition vers une nourriture plus végétale serait également avantageuse pour éviter l’insécurité alimentaire et la sous-nutrition des habitants de pays en développement : rappelons qu’en terme d’efficience brute, il faut entre 4 et 32 calories végétales pour produire une calorie animale1.
La transition vers une alimentation plus saine, biologique, moins carnée et plus végétale est identifiée par les experts du GIEC comme une voie de lutte efficace contre le réchauffement climatique. Cependant, s’ils énoncent cette solution dans leur dernier rapport, ils développent peu les modalités de sa réalisation et ne la placent pas parmi les leviers les plus efficaces et les plus immédiats pour améliorer notre trajectoire climatique. Est-ce parce que la modification en profondeur des mœurs alimentaire est une question éminemment politique, variable selon les cultures, et dont les décideurs peinent à se saisir ? Les gouvernements favorisent le recours à des solutions considérées comme moins contraignantes pour la vie quotidienne des citoyens. Le levier alimentaire, qui est le plus efficace et le plus immédiat pour agir individuellement contre l’embrasement climatique, est pourtant bien plus pertinent quand il est soutenu par un contexte favorable à l’échelle de la société.
Le rapport du GIEC complet est disponible en version originale (en anglais) ainsi qu’une synthèse en version française.
1- Plafonner les émissions de GES (principales responsables du changement climatique) : pour que la planète reste « vivable » pour l’humanité, il est nécessaire que ces émissions soient plafonnées d’ici 2025, soit trois ans.
2- Revoir les objectifs à la hausse : l’accord de Paris qui voulait limiter le réchauffement à 1,5 est devenu inatteignable. Actuellement nous nous dirigeons vers un scénario de 3,2 degrés d’ici à la fin du siècle.
3- Réduire d’au moins 60% d’ici 2050 la consommation en énergie fossile : gaz, pétrole et charbon.
4- Développer le renouvelable pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
5- Changer nos habitudes de vie : une transformation structurelle est nécessaire et passe par le développement des véhicules électriques et du télétravail, ainsi que par la réduction des trajets en avion. Ces changements pourraient entraîner une réduction de 40 à 70% des émissions de GES d’ici 2050
6- Réduire de moitié les émissions de méthane (2e GES émetteur après le CO2), provoquées notamment par l’élevage animal
7- Éliminer le CO2 par la plantation d’arbres, capteurs naturels de CO2, ainsi que par l’extraction de CO2 dans l’atmosphère, afin de compenser les émissions provenant de secteurs qui ne peuvent pas encore les réduire, comme l’aviation et le transport maritime.