Aux Pays-Bas, un conflit social révélateur des difficultés à transformer l’agriculture
Les Pays-Bas ont pour objectif de réduire de 30% leur cheptel d’ici à 2030 afin de juguler les taux très excessifs de nitrate dans les sols. Les mesures associées, qui incluent le rachat de fermes par l’Etat voire l’expropriation des éleveurs, suscitent la colère des agriculteurs néerlandais, et au-delà.
Les Pays-Bas comptent presque autant de cochons et de vaches que d’humains, soit environ 15 millions. L’élevage intensif caractérise le modèle agricole néerlandais, deuxième exportateur de denrées au monde. En 2021, le pays comptait 3 045 élevages porcins exploitant chacun 3365 cochons en avec en moyenne 3 365 animaux par ferme.
Un plan ambitieux de réduction de l’élevage
Cet élevage concentrationnaire pose de sérieux problèmes de pollution aux nitrates, émanant essentiellement des déjections des animaux. Face à une situation environnementale intenable et afin de respecter les objectifs européens en matière de pollution et de climat, le gouvernement a adopté depuis fin 2019 une série de mesures débouchant, en juin 2022, sur un plan de 24 milliards d’euros visant à réduire de 50% les émissions d’azote d’ici 2050. Le plan prévoit une réduction de 30% du nombre d’animaux d’élevage et la fermeture des élevages les plus intensifs au profit de fermes plus petites.
Pour ce faire, le gouvernement propose de racheter les exploitations, sur la base du volontariat, pour revendre ces espaces à des agriculteurs qui s’engagent à développer des modèles plus extensifs. En cas de volontaires insuffisants, le gouvernement envisage même d’exproprier des agriculteurs. Les élevages situés à proximité des réserves naturelles sont particulièrement visés par les fermetures. Le premier ministre Mark Rutte reconnaît l’ampleur du défi environnemental et social : “Nous avons conscience du fait que cela va avoir un impact énorme sur les agriculteurs, mais malheureusement nous n’avons pas d’autre choix. Il nous faut impérativement réduire les émissions d’azote”.
Une réalité complexe qui rappelle que toute politique de transition ne peut ignorer ses propres implications sociales.
Une mobilisation internationale en faveur des éleveurs
La succession de mesures de régulation de l’élevage depuis fin 2021 a provoqué une mobilisation sans précédent de nombreux agriculteurs et de leurs fédérations. Depuis, les Pays-Bas vivent au rythme des manifestations dans les centres commerciaux, des blocages des routes, gares et aéroports, des dépôts de fumier jusque devant la demeure de la ministre chargée « de la nature et de l’azote », Christianne van der Wal. Au-delà des revendications initiales contre le plan de réduction de l’élevage, les manifestants disent également défendre une profession malmenée et dénigrée. La moitié de la population néerlandaise considère ce mouvement avec compréhension voire sympathie, selon les enquêtes d’opinion.
Le conflit a pris depuis juin 2022 une dimension internationale, plusieurs personnalités et mouvements soutiennent les agriculteurs néerlandais. En France, Marine Le Pen a affiché son appui personnel aux manifestants. Au Canada, les manifestations des “convois de la liberté”, mouvement proche de l’extrême droite, ont vu fleurir les drapeaux hollandais pendant l’été 2022. Aux Etats-Unis, des personnalités conservatrices ont présenté les protestations néerlandaises comme la preuve d’une remise en question des politiques environnementales par la population, à l’image d’un Donald Trump ouvertement admiratif de ceux qui combattent ainsi la “tyrannie du climat”.
Une remise en question des objectifs de transition agricoles
Ces oppositions massives fragilisent la popularité du gouvernement et celle du parti démocrate, promoteur de ce plan : comment poursuivre le projet jusqu’à son terme sans adhésion de la population? L’actuelle hausse du coût des matières agricoles, que les nouvelles mesures risquent d’accentuer, ajoute aux difficultés.
Le conflit est révélateur des tensions que peuvent susciter les mesures de transformation agricole, et de transition écologique en général. Si le cas néerlandais fait naître une opposition transnationale entre deux camps, deux objectifs opposés et deux visions du monde, il témoigne aussi et surtout de la nécessité de lier politique écologique ambitieuse et prise en compte des bouleversements que ces mesures peuvent déclencher.
Alors que des politiques semblables à celles des Pays-Bas se mettent inévitablement en place dans de nombreux autres pays (Belgique, Irlande, Canada…) la nécessité de mesures drastiques et urgentes pour réduire la place de l’élevage fera-t-elle le poids face aux craintes suscitées par leurs conséquences sociales ?
Pour aller plus loin :
Lemonde.fr, 13 juillet 2022 : Aux Pays-Bas, un plan drastique de réduction de l’azote provoque la colère des agriculteurs
Ft.com, 3 août 2022 : Dutch farmers in uproar over plans to curb animal numbers to cut nitrogen emissions
Cbc.ca, 25 août 2022. Canada’s convoy movement waved the Dutch flag. Then conspiracy theories swirled about fertilizer and bugs –