Autriche – Les végés en ordre de marche

Un article paru dans ViraGe n°8 – hiver 2020-2021

Vous connaissez ces scènes, au cinéma, où les policiers interrogent un suspect avec un « mauvais flic » qui malmène un peu la personne en garde à vue pour que celle-ci s’épanche ensuite auprès du « bon flic » ? Ce stratagème « bad cop / good cop », c’est un peu ce qui est à l’œuvre en Autriche pour que la population comprenne l’importance de la cause animale et s’intéresse au végétarisme ou véganisme. Et ça marche !

En France, une association comme L214 s’attache à dénoncer les horreurs de l’élevage et des abattoirs, tout en faisant la promotion du mode de vie végane, notamment à travers le site vegoresto.fr qui permet de trouver des restaurants servant des plats véganes. De son côté, l’AVF cherche à stimuler la transition individuelle et collective vers l’alimentation végétale, à ses différents stades et quelles qu’en soient les motivations (éthique animale, écologie, santé).

En Autriche, on trouve essentiellement deux puissantes associations, dont les rôles sont bien distincts. D’une part l’Association contre les usines animales ou VGT (Verein gegen Tierfabriken) qui lutte contre les fermes-usines et l’exploitation animale, dans une perspective abolitionniste. Ce sont ses militants qui filment dans les élevages, qui organisent des stands d’information dans les rues piétonnes et qui, surtout, œuvrent au niveau politique pour faire évoluer les lois. Fondée en 1992 et disposant aujourd’hui d’un budget annuel de près de deux millions d’euros (essentiellement 41 % de dons, 32 % de subventions, 16 % de legs), c’est à la VGT que l’on doit la création d’un organisme d’inspection du traitement des animaux d’élevage (1995), la fermeture de toutes les fermes de fourrure en Autriche (entre 1998 et 2005), l’interdiction de l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques (votée en 2002, effective en 2005), l’interdiction de l’utilisation de grands singes dans les expériences pharmaco-médicales (2006), ou encore, plus récemment, une réglementation stricte sur l’usage des chevaux pour les fiacres tant prisés des touristes (2016).

Complémentaire de la VGT, la Société végane autrichienne (Vegane Gesellschaft Österreich) organise des fêtes véganes en plein air dans différentes villes du pays (les « Veganmania »), publie deux fois par an une revue informant sur les liens entre véganisme et environnement, proposant des recettes, des conseils de santé, des critiques de livres… et même des posters. Cette société végane est assez récente puisqu’elle a été créée en 1999 mais elle a repris, dans les faits, les activités de l’Union autrichienne des végétariens qui, elle, date de 1970. Elle  compte aujourd’hui une vingtaine d’employé·es, une centaine de bénévoles, 4000 membres et 50 000 abonné·es sur Facebook.

Le nombre de véganes est en augmentation constante dans le pays. Selon un sondage réalisé en 2019, on comptait 116 000 véganes et 880 000 végétariens dans la république alpine. De plus, près de la moitié de la population autrichienne (4,3 sur 8,9 millions) déclare vouloir manger moins de viande.

Les effets économiques sont importants et de plus en plus de supermarchés proposent un large choix de produits végétariens ou véganes. La porte-parole du groupe Spar, très implanté en Autriche, Nicole Berkmann, estime, études à l’appui, que 80 % des produits végétariens sont achetés par des consommateurs qui mangent de la viande et que ce sont même 95 % des produits véganes qui sont achetés par des non-véganes. C’est ce qui explique la forte croissance de ce marché, bien au-delà de la croissance du nombre de végés.

Mais ce n’est pas que par l’offre dans les supermarchés que le véganisme fait parler de lui en Autriche. Depuis 2012, la Société végane dispose d’une branche sportive, Team Vegan, très présente sur les différents événements. L’association regroupe des sportifs de tous les niveaux, surtout en course à pied, en triathlon et en force athlétique. L’idée est de permettre aux sportifs véganes, parfois confrontés aux mêmes problèmes lorsqu’ils cherchent à combiner leur engagement à leur passion du sport, de créer des liens entre eux. Il s’agissait surtout, dès le début, de démontrer par l’exemple qu’on pouvait être végane et sportif, luttant ainsi contre le préjugé encore largement répandu selon lequel les végés seraient carencés.

Aujourd’hui, Team Vegan compte près de 200 membres (20 % de plus que l’an dernier), avec à peu près autant d’hommes que de femmes, et parmi eux des sportives et sportifs de haut niveau. Sabrina Lederle a ainsi été qualifiée pour les championnats du monde de course sur 24 heures, Maria Hinnerth a participé à la coupe du monde des 50 km course et Sara Pancot a figuré parmi les meilleures triathlètes sur la distance olympique à la coupe d’Europe 2018. Mais ce qui compte au moins autant pour les membres de cette équipe, c’est que tous les membres portent les couleurs du véganisme (un beau tee-shirt vert et noir orné d’un tournesol), à toutes les compétitions. De plus, chaque année en septembre, l’association Team Vegan organise une grande Course pour la protection des animaux, au Prater, un des grands parcs de Vienne. Il est possible de s’inscrire pour 5 ou 10 kilomètres, en marche nordique ou en course, et tout l’argent obtenu va à la cause animale. C’est devenu un événement très populaire et apprécié des Viennois, qui découvrent aussi la nourriture végane sur les stands montés près de la ligne d’arrivée.

Pour développer le véganisme et lutter pour un monde comportant moins de souffrance animale, en Autriche, les végés sont déjà dans les starting-blocks.

Jérôme Ségal est historien, maître de conférences à Sorbonne Université. Il est aussi chercheur et journaliste à Vienne en Autriche où il vit depuis 2004. Il est auteur de Animal Radical. Histoire et sociologie de l’antispécisme (Lux, mai 2020) et L’armoire (Éditions Valensin, décembre 2020). Coureur de fond (79 marathons ou ultras à son actif), il est aussi membre, depuis 2017, de l’association Team Vegan.

 

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