Cause animale : la prise de conscience s’accélère

Un article paru dans ViraGe n°9 – printemps 2021

Un texte de Dominic Hofbauer, éducateur en éthique animale, L214 Éducation

« Les différences des animaux se montrent dans leur genre de vie, dans leurs actions, dans leur caractère, aussi bien que dans leurs parties. » Vers 343 avant J.-C., Aristote, dans son Histoire des animaux, publie la première grande étude connue sur le comportement animal.

L’éventail des espèces qu’il y étudie est impressionnant, et va des humains et autres vertébrés jusqu’aux mollusques, en passant par les mœurs des pieuvres, décrites avec une surprenante précision. En mars dernier, en écho aux travaux d’Aristote, des éthologues annonçaient avoir fait passer à des seiches « l’épreuve du marshmallow », dans laquelle elles renoncent par anticipation à une gourmandise offerte, pour en obtenir une meilleure si elles se montrent capables de patienter.
C’est peu de le dire : le regard que pose la science sur les animaux a fait beaucoup de chemin. L’éthologie a considérablement enrichi nos connaissances sur les animaux en matière de comportements, de relations sociales, de mémorisation et d’anticipation, de stratégies politiques, d’utilisation d’outils et de transmission de comportements culturels, ou de palettes émotionnelles. Pour l’éthologue Frans de Waal : « Les gens disent souvent que les émotions humaines sont plus variées ou raffinées que celles des autres animaux. Je n’en suis pas convaincu : à mon avis, tous les mammifères partagent quasiment la même expérience émotionnelle. »
À l’issue d’un colloque international à l’université de Cambridge en 2012, treize spécialistes mondiaux du cerveau ont signé une Déclaration de conscience des animaux, y reconnaissant que : « la force des preuves nous amène à conclure que les humains ne sont pas seuls à posséder les substrats neurologiques de la conscience. » Leur emboîtant le pas, un collectif de juristes français a prononcé le 29 mars 2019 à l’université de Toulon une Déclaration de Toulon, appelant le législateur à prendre la mesure du consensus scientifique sur la conscience des animaux, et à le traduire dans le droit en accordant enfin aux animaux une personnalité juridique. Si cet appel est resté sans suite à ce jour, il n’en demeure pas moins que la situation dans laquelle nos représentations, nos habitudes et nos économies maintiennent encore les animaux se voit de plus en plus contestée.

Bataille de l’opinion : la force des images

Ces dernières années, le travail des ONG de défense des animaux s’est beaucoup appuyé sur les possibilités qu’offrent les réseaux sociaux dans le domaine de la diffusion des images. Sans surprise, il est apparu que les industries dont les activités suscitent une forte réprobation sociale vacillent quand elles sont rendues publiques par le travail des lanceurs d’alerte. Égorgement d’animaux à la chaîne dans les abattoirs, broyage des poussins mâles, vaches fistulées, déterrage des blaireaux, dauphins noyés par les filets de pêche, coulisses de chasses à courre ou cerfs traqués réfugiés dans des villages ou des gares : des activités qui jusqu’alors étaient demeurées discrètes, voire opaques, se trouvent particulièrement déstabilisées lorsque les souffrances qu’elles impliquent pour les animaux sont exposées à l’opinion publique par la viralité des nouveaux médias.En réaction, la collusion du gouvernement et d’une partie du personnel politique avec les lobbies de l’élevage ou de la chasse saute désormais d’autant plus aux yeux qu’elle conduit les autorités à tourner le dos de plus en plus fréquemment à des principes aussi fondamentaux que la liberté d’expression, le droit de manifester, voire à la simple vérité. Particulièrement exposé, le ministère de l’Agriculture se voit ainsi amené à essayer de couvrir les défaillances des services de contrôles dans les élevages ou les abattoirs, à peser sur le ministère de l’Éducation nationale pour tenter de fermer l’accès aux écoles aux ONG de défense des animaux, ou encore à se mêler des menus des cantines scolaires, sans craindre par ailleurs de proférer des mensonges nutritionnels pour y défendre la présence de la viande à chaque repas. Pendant ce temps, gouvernement et médias donnent du crédit au concept victimiste (et malin) d’agribashing, par lequel des acteurs du monde agricole se placent en victimes d’une prétendue hostilité qu’une partie de la population exprimerait envers leurs métiers.
À cette stratégie de communication s’ajoutent des mesures de plus en plus répressives à l’égard des militants associatifs : création d’une cellule spéciale de gendarmerie dédiée au concept vague d’« atteintes au monde agricole » en partenariat avec la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, mission d’information parlementaire visant à « renforcer l’arsenal pénal » contre « les militants anti-glyphosate, véganes ou anti-chasse ». Particulièrement inquiète de ces manœuvres, l’association L214 a dénoncé la montée en épingle de quelques actes de vandalisme isolés afin de justifier un arsenal répressif démesuré, destiné en réalité à entraver la diffusion d’images et le débat démocratique qu’elles nourrissent sur les réalités de la chasse ou les conditions d’élevage, de transport et d’abattage des animaux.

Dans les caddies et dans les urnes

Cependant, les temps n’ont sans doute jamais été aussi encourageants pour la cause des animaux : les alternatives végétales explosent et s’installent avec succès dans les supermarchés, la part des produits animaux dans l’alimentation baisse d’année en année, les initiatives législatives pour accroître le niveau de protection légale des animaux se multiplient. Grâce à des initiatives – souvent invisibles – menées par les associations, un nombre croissant d’acteurs de l’agro-alimentaire se détournent des pratiques les plus nocives pour les animaux. À l’heure où nous écrivons, Poulehouse vient de signer un partenariat avec Intermarché pour la commercialisation d’œufs issus de poules de réforme dont la retraite est garantie. Dans le même temps, les Nouveaux Fermiers viennent d’annoncer que leurs aiguillettes végétales ont été reconnues « Saveurs de l’année 2021 ».
Dans les urnes, les citoyens sensibles au sort des animaux ont désormais la possibilité d’apporter leur voix aux animaux via des partis politiques créés pour les défendre à l’échelon politique. Parmi les 387 candidats signataires de la charte de L214 « Une ville pour les animaux » lors des élections municipales de 2020, 230 ont été élus conseillers et 55 ont été élus maires. Parallèlement, 231 municipalités comptent des élus engagés pour la cause animale.
Le travail des associations, des bénévoles de terrain, des scientifiques ou des philosophes est tout aussi précieux. Chaque passage média, chaque livre qui paraît, chaque tract tendu par un militant dans la rue est une fissure supplémentaire dans le mur d’indifférence qui nous sépare d’un monde où notre considération s’étend au-delà de la frontière d’espèce, pour embrasser tous les êtres doués de sensations. D’une certaine manière, ce monde a déjà commencé, car on voit bien dans la faiblesse et la pauvreté des arguments qu’on nous oppose encore que la bataille des idées est, de fait, déjà gagnée.

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