Construire une identité végane pour sortir de la stigmatisation : rencontre avec Ciel Gadeyne-Coppé

Un article paru dans ViraGe n°11 – automne 2021

Ciel Gadeyne-Coppé, 21 ans, est étudiant en 5e année de master Développement soutenable à Sciences Po-Lille. Végane passionné, il s’est interrogé sur l’élaboration d’une culture végane, sur son rôle dans la normalisation du véganisme et le soutien que peuvent y trouver les véganes eux-mêmes.

Également féru de cuisine, il a longtemps nourri le blog « M pour Froutchie » de ses recettes et réflexions sur le véganisme, accessibles au plus grand nombre.

Quel est l’objet de ton mémoire, et pourquoi l’as-tu choisi ?

Le titre exact de mon mémoire est Véganisme. Entre stigmatisation et tentatives de déstigmatisation : le rôle crucial d’une sous-culture basée sur l’alimentation.
Je suis parti du constat personnel que le fait d’être végane est globalement mal vu : la personne végane est toujours sommée de s’expliquer, de répondre aux questions. J’ai étudié en quoi l’alimentation (que ce soit dans les choix de consommation, les sociabilités, les références partagées entre véganes) est fondamentale dans la construction d’une communauté et d’une identité véganes, pour aider à neutraliser le  stigma, mais aussi en quoi cette communauté constitue un levier pour déstigmatiser le véganisme dans l’imaginaire collectif.

Peux-tu nous exposer ta méthode de travail ?

J’ai lu énormément d’articles scientifiques : sur le véganisme, ou la consommation engagée et l’alimentation, et leur place dans la construction des identités, individuelle ou collective, sur les sous-cultures, sur la place de l’alimentation dans les rapports sociaux et les sociabilités… Cela m’a permis de définir précisément l’axe sur lequel je voulais travailler, et d’approfondir par la suite mes recherches dans la direction définie. J’ai décidé de fixer mon terrain de recherche sur la métropole lilloise, car Lille compte une importante communauté végane. J’ai réalisé dix entretiens. Les questions portaient sur le parcours, le ressenti, l’organisation lors de sorties au restaurant ou pour des repas de famille. Ces entretiens se sont mêlés aux écrits scientifiques et ont permis d’illustrer et d’approfondir, ou de nuancer parfois, des hypothèses que j’avais pu formuler.

Qu’est-ce qui, d’après les résultats de ta recherche, définit l’identité végane ?

Sa principale caractéristique est qu’elle est multiple : il y a autant de véganismes qu’il y a de personnes véganes, que ce soit dans les motivations (qui peuvent évoluer avec le temps) ou au niveau des profils sociologiques. Les vécus sont tous très différents, même si on peut souligner un parcours type à travers des étapes qui reviennent souvent. D’abord le choc moral1. Ensuite, la période de transition, qui est aussi une période d’apprentissage de la cuisine, des arguments à employer et du savoir-être végane (anticiper les repas entre ami·es, être moteur dans le choix du restaurant…) La personne devient ensuite végane et s’entoure de plus en plus de personnes véganes, que ce soit en ligne ou dans la vie réelle.

L’importance des réseaux sociaux : les groupes en lignes et forums permettent de partager et de se rencontrer. Les blogs et chaînes YouTube dédiés tiennent également un rôle important : les figures emblématiques du véganisme qui les animent participent largement à la création d’une communauté, mais aussi à la diffusion de recettes végétales à un plus large public. On note également l’échange des bonnes adresses locales, d’arguments et de blagues, qui permettent de gérer le stigma au quotidien et de répondre aux questions ou aux polémiques.

Tu traites de « déviance », de « stigma » : est-ce que tu pourrais définir ces concepts, qui peuvent porter une charge symbolique forte ?

Les termes « déviance » et « stigma » sont à ici comprendre dans leur sens sociologique.

Le concept de déviance a largement été théorisé par Becker, qui montre que les individus déviants ne le sont pas par définition, de manière intrinsèque dès leur naissance. Le groupe majoritaire définit un individu (ou un groupe) comme déviant suite à un comportement qui s’éloigne de ce qui est attendu. Cela s’accompagne de conséquences sociales (positives ou négatives). Le concept de déviance s’applique donc bien au véganisme.

Le concept de stigma a été développé par Goffman, qui définit le stigma social comme une étiquette, apposée par le groupe majoritaire, sur les individus qui sortent de la norme, qui sont définis comme déviants par le groupe à cause d’une caractéristique. Ce concept s’applique ici parfaitement au véganisme, en tant que mode de vie qui s’éloigne des habitudes de consommation majoritaires. Une personne végane va être exclue de certains repas ou sorties, subir des critiques ou devra se justifier à de nombreuses reprises. À une plus grande échelle, on peut illustrer la stigmatisation du véganisme par le manque d’option végane au restaurant ou dans la plupart des magasins.

Ton travail de recherche ouvre des perspectives concrètes pour une association comme l’AVF. Quelles sont-elles ?

Renvoyer une image plus positive du véganisme, mais qui n’est pas forcément synonyme de déstigmatisation : une stigmatisation positive n’aboutit pas nécessairement à une normalisation du véganisme et à son intégration dans les mœurs.

Il faut s’interroger sur l’efficacité de la labellisation en fonction des contextes : selon leurs revenus, leurs habitudes de consommation, leur bord politique ou leur politisation, les non-véganes seront plus sensibles à certains arguments qu’à d’autres, le véganisme étant plus ou moins stigmatisé selon les milieux.

Une aide à la gestion des situations sociales semble très importante pour les débutants. Rassurer et accompagner les personnes dans leurs débuts, les aider à perfectionner leur argumentation pour se défendre et convaincre au mieux leur entourage, semble être une bonne solution. Cela permettrait d’éviter que certaines personnes restent dans la phase de transition.

Favoriser la mixité entre véganes et non-véganes est prépondérant. Organiser des événements en s’assurant que des véganes et des non-véganes y participent, ou inciter les restaurants à proposer une, voire plusieurs options végétales tout en continuant à servir des plats carnés, peut aider à normaliser le véganisme, en permettant à n’importe qui de prendre un plat végane sans subir le stigma associé. Ces moments de mixité sont importants pour faciliter les interactions, et intégrer peu à peu des pratiques véganes dans le mode de vie des non-véganes.

Notes

  1. Événement(s) déclencheur(s) qui amène(nt) une personne non-végane à remettre en question son mode de vie.
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