Épisode 2 – Vers une agriculture écologique à hauts rendements
L’un des défis de l’agriculture de demain est de limiter, voire de réduire l’étalement agricole, tout en nourrissant un nombre croissant d’humains. Quelles pistes pour une agriculture à la fois très productive et écologiquement soutenable ?
Vous défendez l’agriculture à haut rendement comme une solution décisive pour réduire l’étalement agricole et, par conséquent, pour relever le défi écologique. N’est-ce pas contradictoire avec la nécessité d’adopter des pratiques agricoles moins dépendantes des engrais de synthèse, des pesticides, de la mécanisation, de l’irrigation et des multinationales ?
Ce dont nous avons besoin, c’est de produire plus de nourriture avec moins d’agriculture. Par moins d’agriculture, j’entends à la fois moins d’utilisation des terres mais aussi moins de consommation de pesticides et d’engrais, moins de labour et d’irrigation. Il est essentiel que les rendements restent élevés, afin de minimiser l’étalement agricole. Mais les engrais, les pesticides, le labour et l’irrigation conduisent eux aussi à la destruction des systèmes vivants. Nous devons donc soutenir et développer les techniques qui peuvent relever ces deux défis.
Une voie très prometteuse est le développement des cultures céréalières pérennes : des plantes qui restent dans le sol pendant plusieurs années. Parce qu’elles n’ont pas besoin d’être plantées chaque année et qu’elles s’enracinent profondément dans le sol, les plantes pérennes sont susceptibles de nécessiter beaucoup moins d’intrants et d’être plus résistantes aux variations environnementales. Une variété pérenne de riz à grains courts a déjà été commercialisée et a permis d’assurer un rendement tout aussi élevé que les variétés annuelles de riz, et ceci pendant plusieurs années. C’est l’une des nombreuses façons de résoudre les deux problèmes de manière efficace.
À ce sujet, vous présentez la production de protéines à partir de la « fermentation de précision » – qui est similaire à l’agriculture cellulaire – comme une technique révolutionnaire qui nous conduira à abandonner l’élevage, à créer de nouveaux types d’aliments et à réduire considérablement notre empreinte écologique…
D’abord, la fermentation de précision et la production de viande in vitro à partir de cellules sont des technologies totalement différentes. La fermentation de précision est assez simple – disons l’équivalent de l’énergie éolienne – tandis que la viande cultivée est très compliquée, l’équivalent peut-être de la fusion nucléaire. La fermentation de précision est une forme raffinée de brassage, consistant à élever des microbes pour produire des ingrédients spécifiques. Si vous avez déjà mangé du fromage végétarien ou végétal, vous avez certainement consommé ce type de produits, sous forme de chymosine, un substitut de la présure qui est généralement obtenue à partir du quatrième estomac d’un veau non sevré (est-ce un choix difficile à faire ?).
La fermentation de précision commence déjà à être utilisée pour produire des aliments riches en protéines, qui peuvent constituer de bien meilleures alternatives que le végétal aux produits animaux. C’est, je crois, notre meilleur espoir de mettre fin à l’élevage. En fin de compte, la question se jouera sur le prix, or la fermentation de précision deviendra rapidement bon marché. Elle permettra de créer des produits moins chers, plus sains et très difficiles à distinguer des produits d’origine animale.
Ne s’agit-il pas d’une solution hautement technologique et capitalistique de l’agriculture, qui s’oppose à la vision plus courante d’un retour à des systèmes de production naturels et localisés ?
La fermentation de précision change-t-elle la nature commerciale de la production alimentaire ? Eh bien, dans tous les cas, les structures économiques résultent de choix politiques et ne sont pas liées à des technologies particulières. La production alimentaire actuelle est hautement capitalistique et concentrée : 90 % du commerce mondial des céréales, par exemple, est contrôlé par quatre sociétés. Cela ne signifie pas que nous devrions interdire le commerce mondial des céréales – si nous le faisions, des milliards de personnes mourraient immédiatement de faim. Cela signifie que nous devrions briser les grandes sociétés. Toute entreprise peut être capitalisée et toute entreprise peut être socialisée, même les entreprises de haute technologie : pensez à l’internet à haut débit communautaire et aux coopératives énergétiques locales. Dans tous les secteurs commerciaux, les droits de propriété intellectuelle doivent être faibles et les lois anti-trust doivent être fortes. Dans la mesure du possible, la technologie doit être en open source et gérée par la communauté.
L’agriculture locale ne peut tout simplement pas nourrir le monde, pour une raison mathématique évidente : la plupart d’entre nous vivent dans des villes, qui sont souvent entourées de petits arrière-pays agricoles [lesquels restent insuffisants pour nourrir les villes (NDLR)]. Une étude a montré que la distance moyenne minimale qui permettrait de nourrir les habitants du monde en céréales est 2200 km. En revanche, la fermentation de précision locale, en particulier lorsqu’elle utilise comme matière première de l’hydrogène ou du méthanol issu d’une énergie renouvelable, peut fonctionner n’importe où, de manière autonome. C’est le seul moyen par lequel la nourriture locale serait capable de nourrir le monde.