Illusionniste et original : le soja en cuisine
Un texte d’Elodie Vieille-Blanchard, avec le soutien de Gwénaële Joubrel et Camille Oger
La composition particulière du soja le rend très polyvalent en cuisine. Alternative de choix, il a aussi ses propres atouts, qui en font bien plus qu’un substitut aux produits animaux. Tour de table de ses formes et usages les plus courants.
Bien des transitions alimentaires ont débuté avec lui : le « lait » de soja. D’un goût léger et d’une couleur discrète, il s’utilise comme du lait de vache. Il a notamment la particularité de cailler très bien lorsqu’il fermente. Dans ce processus, il s’acidifie, ce qui entraîne la précipitation des protéines. Il se produit exactement la même chose lors de la fermentation du lait pour la préparation des yaourts ou du fromage. Ce phénomène n’est possible qu’avec les jus riches en protéines, dans des proportions précises, c’est pourquoi on ne l’observe pas ou peu avec d’autres jus végétaux. Par exemple, les yaourts de lait d’amande ou de coco nécessitent l’ajout d’un épaississant.
Cette même qualité permet de l’utiliser pour des crêpes 100 % végétales qui n’attachent pas à la crêpière. Pâtes à brioche, béchamel, crèmes dessert maison… Il se prête aux préparations traditionnelles sans bouleverser les habitudes, en cuisine comme en bouche. Les aides culinaires développées ces dernières années ont complété ce mimétisme : spécialités façon crème fluide, ou crème de soja lacto-fermentée qui remplacera la crème épaisse. Certains produits sont enrichis en calcium et ou en vitamine D pour présenter un profil nutritionnel plus similaire encore à leurs équivalents animaux.
Voilà pour l’habit d’illusionniste laitier. Mais les traitements habituellement réservés aux céréales ou aux légumes lui vont aussi bien. Les tables asiatiques lui réservent une place de choix sous des formes variées : pâte fermentée au piment et aux épices, condiments liquides ou épais, peau de lait de soja nommée yuba, graines fermentées et filantes du natto japonais, bouillies, soupes… Et dans nos contrées, protéines en poudre pour sportifs végé, et des recettes qui se renouvellent, suivant la demande croissante pour une alimentation végétale facile d’accès.
Allié des végés débutants, le soja gagne ses lettres de caractère au fil des dégustations. Sa prétendue fadeur laisse place à l’expérience de ses textures, aux parfums subtils ou marqués qui différencient les marques et les modes de fabrication… Ses milles facettes incitent à la créativité.
« Lait » de soja, ou tonyu
Des graines de soja cuites et mixées avec de l’eau, telle est la composition du jus ou « lait » de soja, dont la fabrication est attestée en Chine au tout début de notre ère. Aujourd’hui largement diffusé dans la grande distribution, il est aussi proposé en versions aromatisées ou complémentées. Il sert de base à la préparation de tofu, de yaourts, de kéfir en utilisant des grains de kéfir de fruit. Émulsionné, épaissi et enrichi en matières grasses, il devient crème végétale pour les sauces et gratins.
Fromages et yaourts
Grâce à sa composition chimique particulière, le jus de soja permet de fabriquer des yaourts maison. On peut aussi se lancer dans la confection de « fromages ». Si les yaourts de soja sont très présents dans les magasins alimentaires, en revanche la production industrielle de « fromages » au soja reste pour l’instant limitée aux fromages frais. Mais il est possible d’en préparer chez soi en utilisant différents ferments, et d’affiner ces fromages.
Tofu
Le tofu, « viande » végétale millénaire, est obtenu en faisant cailler du jus de soja avec un coagulant : du nigari (chlorure de magnésium), du vinaigre, du jus de citron ou du sel. Cet ingrédient aux textures variées (en Occident, on connaît le tofu ferme et le tofu soyeux) et à la saveur dite « fade » dans la terminologie de la cuisine des temples japonais, peut s’imprégner de toutes les saveurs. En Asie, on trouve dans chaque pays une grande variété de tofus, souvent produits artisanalement : soufflé, fermenté, frit, aux cinq parfums… Dans nos commerces, on le trouve aujourd’hui fumé, aux herbes, au pesto… ou en version lacto-fermentée.
Steaks et protéines de soja texturées
Parce qu’il propose un substitut protéique à la viande, le soja entre dans de nombreuses recettes de similis, ces préparations cuisinées qui imitent sinon le goût, du moins les usages des produits carnés : steaks, boulettes, hachis pour bolognaise… Selon les marques, du blanc d’œuf peut entrer dans la composition de ces nouvelles spécialités.
Plus brutes et très économiques, les protéines de soja texturées, ou PST, ressemblent à de petites éponges qui ne demandent qu’à s’imbiber d’un bouillon ou d’une sauce. Elles sont obtenues après le pressage des graines, et donc déshuilées. On les trouve de différentes tailles, selon l’usage qu’on veut en faire.
À découvrir, l’ouvrage de Sébastien Kardinal, Protéines de soja, La Plage, 2018.
Sauce soja et miso
Les graines de soja ensemencées avec un ferment endémique du Japon, Aspergillus orizae, se déclinent en sauce de soja (liquide) et en miso (pâteux). Ces assaisonnements sont appréciés pour leur goût umami (savoureux), qui exalte la saveur des soupes, ragoûts et autres sauces. Ils constitueraient le premier usage historique du soja dans l’alimentation. Le terme anglais soy serait d’ailleurs issu de shoyu, le nom japonais de la sauce de soja. Le shoyu ou le tamari, son pendant sans gluten, évoquent la « profondeur » de goût qu’on obtient souvent avec la viande : sous cette forme aussi le soja est un allié des végés débutants.
Tempeh
Spécialité de la cuisine indonésienne, le tempeh résulte de la fermentation des grains de soja entiers et cuits avec un champignon microscopique. Sous la forme d’un bloc compact, il développe des arômes de champignon, de noix et de levure. Il se prête bien aux marinades et aux plats en sauce, dont il absorbe les saveurs. On peut le fabriquer chez soi, en se procurant les ferments adéquats et en bricolant une petite chambre de pousse.