Les produits laitiers… pas franchement les amis de la planète

Un article paru dans ViraGe n°1 – printemps 2019

Le fort impact de l’élevage sur l’environnement, en particulier sur le changement climatique, est désormais bien connu. La filière laitière y a sa part de responsabilité, de manière diverse selon les modèles de production, de la ferme familiale à la mégaferme industrielle. Aperçu des dégâts.

Rappelons d’abord quelques chiffres : selon les diverses études scientifiques, l’élevage représente entre 15 et 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial, devançant les émissions directes du secteur des transports. Il constitue la principale source d’émission de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O) issus des activités humaines : respectivement 37 % et 65 %.

D’après la FAO1, le secteur laitier représente environ 4 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. En France, il représente 6 %, dont la moitié est dû à la fermentation entérique des ruminants2.

Fig. 1 D’où viennent les émissions de GES en élevage laitier ? Source : CITEPA, 2012.

En France, la filière lait s’est engagée à réduire de 20 % ses émissions de GES entre 2015 et 2025. Concrètement, il s‘agit de passer de 1 à 0,8 kg de CO2e (équivalent carbone) par litre de lait à travers des mesures techniques comme la réduction de la consommation énergétique, l’optimisation de l’alimentation des vaches et, surtout, la séquestration du carbone dans les prairies. Se comparant à d’autres productions agricoles, la filière laitière ne manque pas d’insister sur la « contribution positive » des prairies et des haies qui séquestrent le carbone dans le sol, et qui entretiennent la biodiversité de la faune et de la flore. En réalité, un élevage laitier émet en moyenne 657 040 kg de CO2e par an, mais stockerait seulement 80 000 kg de CO2e par an – ce qui est loin d’être une compensation.

Il est intéressant de constater que, selon les diagnostics réalisés ces dernières années, l’empreinte carbone diffère peu selon le système d’exploitation, plaine ou montagne, herbager (pâturant) ou fourrager (maïs), mais qu’elle varie beaucoup selon les exploitations, à l’intérieur de chaque système3.

Par ailleurs, en dépit des avantages relatifs du pâturage en matière de respect des animaux, de qualité des produits et d’implications socio-économiques, et contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, plusieurs récentes études montrent que le système à l’herbe n’est ni bénéfique ni meilleur pour le climat, les sols ou la biodiversité que l’élevage hors sol, bien au contraire4.

Des pressions écologiques multiples et complexes

Au-delà des émissions de gaz à effets de serre, reste à prendre en compte d’autres forts impacts écologiques aux effets croisés et aggravants : l’appauvrissement des ressources en eau, la pollution de l’eau par les effluents (notamment en antibiotiques), la toxicité des pesticides utilisés pour les cultures fourragères, les risques sanitaires liés à l’élevage industriel, ou encore la pollution de l’air par les émissions d’ammoniac.
Attardons-nous un peu sur ce dernier problème, méconnu et de plus en plus préoccupant. En France, l’élevage génère 75 % des émissions totales d’ammoniac, tous secteurs confondus. Dans une exploitation, les bâtiments, le stockage et l’épandage des effluents, ainsi que le pâturage sont émetteurs d’ammoniac, un gaz précurseur de particules fines (nitrate et sulfate d’ammonium) très volatiles. Ces particules sont à l’origine ou participent à l’aggravation de nombreuses pathologies, en particulier l’asthme, les allergies, les maladies respiratoires ou cardiovasculaires et certains cancers. Par leur pouvoir acidifiant, elles perturbent également l’équilibre des écosystèmes terrestres et aquatiques, et contribuent au changement climatique.

Une vache laitière émet 8 tonnes de CO2 par an5. Elle pollue trois fois plus qu’une voiture individuelle qui parcourt 20 000km par an (à 130g de CO2/km).

Mégafermes, mégaproblèmes ?

La France chemine vers un modèle agricole plus intensif, hors sol, comme partout dans le monde. Pour l’heure, les quelques fermes industrielles françaises, en activité ou en projet, accueillent (seulement ?) 1 000 vaches, et elles suscitent globalement la réprobation de l’opinion publique. Mais l’on voit aujourd’hui se bâtir des usines aux proportions vertigineuses : 40 000 vaches dans l’Indiana, 50 000 en Nouvelle-Zélande, 93 000 vaches en Arabie Saoudite6, 100 000 vaches en Chine (près de Mudanjiang)… On peine à le croire. Ce pays possédait, selon un média d’État, déjà 56 exploitations d’au moins 10 000 vaches en 2014. Des usines qui génèrent des problèmes de pollution à la mesure de leur surdimensionnement : montagnes pestilentielles de fumier à traiter, prolifération des mouches, émissions de gaz produisant un épais brouillard…7

Les problèmes de biosécurité sont aussi démultipliés. En effet, l’entassement dans un espace restreint favorise l’apparition et la diffusion de maladies, et donc l’usage d’antibiotiques, notamment en préventif. Les autorités chinoises seraient en train de repenser la politique laitière, ciblant désormais des fermes limitées à 350 têtes pour nourrir une population qui n’a découvert le lait et les produits laitiers que récemment, et qui en raffole… Malgré une intolérance massive au lactose. Des réflexions qui nous amènent logiquement aux questions de santé liées à la consommation de lait et de produits laitiers.

Notes

  1. « Greenhouse Gas Emissions from the Dairy Sector », FAO, rapport 2010, www.fao.org/3/k7930e/k7930e00.pdf. Le chiffre prend en compte les émissions liées à la production, à la transformation, au transport des produits laitiers mais aussi à la production de viande d’animaux provenant de la filière laitière.
  2. Terragricoles de Bretagne, http://bit.ly/2XHgrnZ.
  3. « Empreinte carbone de la production laitière », Institut de l’élevage, http://bit.ly/2UrKeyN, et Terragricoles de Bretagne, http://bit.ly/2XHgrnZ.
  4. Parmi les raisons : les ruminants élevés à l’herbe ont tendance à émettre davantage de méthane, et à atteindre leur poids d’abattage moins vite que les ruminants nourris de grains et de soja. Par ailleurs, la capacité d’un sol à stocker le carbone arrive à saturation en seulement quelques décennies, et ce carbone peut être relâché dans l’atmosphère à l’occasion de sécheresses, par exemple. Voir « Le pâturage est-il vraiment meilleur pour la planète que l’élevage industriel ? », Isabelle Richaud, Alternatives végétariennes n° 30.
  5. « Greenhouse gas emissions from milk production and consumption in the United States: A cradle-to-grave life cycle assessment », G.J. Thoma et al., International Dairy Journal, n° 31, 2013.
  6. Agriavis.com, http://bit.ly/2F5eMBf
  7. Source : AFP, 26 décembre 2016.
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