Végétalisons l’écologie !
Indépendamment de son empreinte environnementale catastrophique et de sa cruauté intrinsèque, le mythe d’un élevage paysan « bon pour la planète » continue à être entretenu par de nombreux écologistes.
L’élevage accapare 77 % des espaces agricoles de la planète pour ne fournir que 18 % des calories consommées dans le monde. En raison du changement d’affectation des terres mais également du fait de l’ensemble des processus nocifs sollicités par l’exploitation des sols ou des animaux, le secteur de l’élevage totalise à lui tout seul entre 14,5 % et 20 % (selon les sources) de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle mondiale.
Les recherches scientifiques se suivent et convergent toutes peu ou prou vers le même résultat : la viande et les produits laitiers sont les aliments les plus polluants de tous, et ce, quel que soit leur mode de production (intensif ou extensif). Outre le fait d’être l’un des premiers responsables du réchauffement planétaire, l’élevage représenterait également la principale menace pour 86 % des 28 000 espèces sauvages en danger d’extinction.
La plupart des organisations mondiales appellent ainsi à un recul drastique de la consommation de produits laitiers et carnés pour des motifs désormais connus : ils provoquent la déforestation, souillent les cours d’eau, dégradent les écosystèmes, accélèrent le dérèglement climatique, nuisent à la santé humaine et à la biodiversité… sans même mentionner la cruauté inqualifiable qu’ils impliquent vis-à-vis des animaux.
Où en sont les écolos ?
Alors que ce constat accablant se renforce au rythme des publications scientifiques, le mouvement écologiste français demeure réticent à condamner l’élevage dans son ensemble et se pose en héraut du « petit élevage paysan ».
Dans une tribune parue en janvier 2019, les grandes organisations non gouvernementales pour l’environnement montaient au créneau pour sauver « ce savoir-faire ancestral qu’est l’élevage », appelant à « ne pas se tromper d’ennemi », à « favoriser les produits de qualité, ceux issu de l’élevage durable français » et à « éloigner de nos assiettes la viande industrielle et transformée ».
Même plaidoyer chez EELV. À l’occasion des municipales 2020, le parti écologiste inventait même un nouveau concept : « l’élevage éthique » censé favoriser « une agriculture paysanne, soucieuse du bien-être de l’animal, qui favorise les circuits courts et qui respecte les consommateurs/trices ».
Pour les écologistes français, le message est clair : seul l’élevage intensif serait à blâmer. Et de conclure à l’unisson : « Nous prônons le “Moins pour Mieux” : pour notre santé, pour notre planète, pour les animaux et pour les éleveurs. »
Des arguments de défense de l’élevage paysan qui ne tiennent pas la route
N’en déplaise à certains, les faits sont têtus et contrairement aux idées reçues, le petit élevage paysan contribue bel et bien à sa mesure au carnage général.
Côté empreinte climatique, prenons l’exemple de l’élevage bovin. Pourtant le moins industrialisé de France, il est à lui tout seul responsable de 60 % des émissions du secteur, soit la majorité. Même après la prise en compte du fameux effet de stockage des prairies, on reste à plus de 50 %. Rappelons aussi que les ruminants élevés à l’herbe occupent beaucoup plus d’espace, ont tendance à émettre davantage de méthane que les ruminants nourris de grains et de soja et émettent donc davantage de gaz à effet de serre par tête ; a contrario, les animaux élevés de manière intensive atteignent leur poids d’abattage plus vite que les animaux nourris à l’herbe, en bio par exemple, et ont donc moins de temps pour « polluer » avant d’être transformés en viande.
Qu’en est-il ensuite de l’argument du « local » tant vanté par une majorité d’écologistes ? Il faut avoir conscience que du point de vue des émissions de GES, 83 % proviennent de la phase de production de l’aliment contre seulement 11 % pour le transport dans son ensemble et 4 % pour la livraison finale du producteur au détaillant. Même s’il peut par ailleurs être souhaitable, le circuit court ne peut donc réduire significativement l’empreinte écologique des produits animaux. D’ailleurs, renoncer à manger de la viande rouge ET des produits laitiers un jour par semaine économise davantage de GES que manger 100 % local tout le temps. Une autre façon de le dire : les émissions induites par un régime omnivore d’origine 100 % locale sont sept fois supérieures à celles induites par un régime végétalien non local.
Du point de vue du bien-être animal, tuer un être sensible qui veut vivre ne peut évidemment être pratiqué avec respect et dignité, dans un abattoir industriel comme « à la ferme ». Et quand bien même on ferait tout pour y croire, les enquêtes édifiantes de L214 sur les souffrances infligées aux animaux dans plusieurs petits abattoirs locaux labellisés bio (dont celui du Vigan) suffisent à discréditer toute dimension éthique dans cet acte définitif y compris à petite échelle.
D’un point de vue stratégique, promouvoir le « Moins pour Mieux » ou le « flexitarisme » peut sembler une étape utile allant dans la bonne direction lorsqu’un message plus radical risque d’être mal perçu. Il ne faut cependant pas sous-estimer l’importance qu’il y a de donner une vision claire à long terme, quitte à souligner que la transition sera nécessairement progressive. De plus, le « Moins » passe trop souvent au second plan par rapport au « Mieux » et est suffisamment vague pour que beaucoup de personnes ne se sentent pas concernées, ayant l’impression fausse de ne pas avoir de consommation excessive. On est en droit de douter de l’efficacité de cette stratégie quand on voit que ces arguments sont détournés par les lobbys de l’élevage pour promouvoir leur filière. Le concept de flexitarisme a ainsi été dévoyé pour signifier une consommation de viande de qualité, bien loin de sa signification originelle de quasi-végétarisme.
Comment des personnes sensibles à l’écologie et attachées à la justice peuvent-elles continuer à cautionner l’élevage, même paysan ? Que les arguments du bio, du « petit éleveur », du local voire du flexitarisme soient employés par des consommateurs sous l’influence permanente de la propagande de l’industrie de la viande (qui sait pertinemment que toute légitimation du carnivorisme lui profitera) n’est pas surprenant. Qu’ils soient repris à leur compte par la plupart des mouvements et partis écologistes (à l’exception notable de la REV) relève d’une profonde dissonance cognitive collective ! Voire d’un cynisme politique clientéliste.
Le petit élevage bio et local continue donc de servir de paravent pratique à la bonne conscience, ce qui pourrait expliquer que la très grande majorité des leaders politiques et sympathisants médiatiques de l’écologie politique soient encore massivement omnivores, rarement végétariens et quasiment jamais végétaliens à titre personnel.
Le temps est venu de ne plus se mentir
Comme dirait un certain Nicolas Hulot dans l’un de ses derniers plaidoyers médiatiques, « Le temps est venu. » En l’occurrence, le temps est vraiment venu de ne plus se mentir.
Le temps est venu de prendre conscience que l’élevage paysan est tout aussi néfaste pour le climat que l’élevage intensif et que sa généralisation est une illusion : un système de production bio, extensif, en pâturages, n’est possible qu’à condition de réduire drastiquement la consommation de produits animaux.
Le temps est venu de faire confiance aux très nombreux scientifiques qui affirment que les protéines animales ne sont en rien indispensables à une alimentation saine et équilibrée.
Le temps est venu d’intégrer le fait que le régime végétalien – qui diminue de 70 % l’émission carbone de notre alimentation – est le plus puissant levier d’action individuel pour enrayer le réchauffement climatique.
Le temps est venu de comprendre que la crise sanitaire trouve ses causes profondes dans notre appétit pour la viande, quel qu’en soit le mode de production.
Le temps est venu d’admettre que les animaux ont une valeur intrinsèque et un droit équivalent à vivre au nôtre.
Le temps est venu d’être cohérent et d’arrêter d’en justifier la consommation pour des motifs scientifiquement douteux et éthiquement indignes.
Le temps est venu d’arrêter de prétendre se réconcilier avec la nature tout en cautionnant l’abattage d’êtres vivants sensibles dans des proportions titanesques chaque année.
Le temps est venu d’en finir avec l’anthropocentrisme et de refonder une écologie véritablement engagée contre toute forme d’exploitation.